31 août 2006

L'Immeuble Yacoubian par Alaa EL ASWANY


(Titre original : Imrat Ya’qubyan, 2002 puis Editions Actes Sud - Janvier 2006 pour la traduction française)

Ce roman, très bien construit, mêle habilement la trajectoire de plusieurs personnages, et, grâce à leurs destins différents, dessine une image très instructive de l’Egypte contemporaine.
Quelques éléments historiques donnent le ton : « Pendant au moins cent ans, le centre-ville était resté le centre commercial social du Caire, où se trouvaient les plus grandes banques, les sociétés étrangères, les centres commerciaux, les cabinets des médecins connus et des avocats, les cinémas et les restaurants de luxe. (…) Jusqu’aux années 1960, le centre-ville avait continué à préserver son caractère authentiquement européen ». (Page 46). L’auteur explique que les tenues traditionnelles n’étaient pas de mise dans le centre ville. « Puis vinrent les années 1970 (…) une vague de religiosité dévastatrice submergea l’Egypte. » (Page 47). Cette islamisation a fait par exemple disparaître un grand nombre de petits bars du centre-ville. Plus loin, un point de vue historique est écrit sans détour : « Abdel Nasser a été le pire dirigeant de toute l’histoire de l’Egypte (…) Il a apporté la crise et la misère (…) et a enseigné aux égyptiens la lâcheté, l’opportunisme, l’hypocrisie (…) Il a chassé les juifs et les étrangers sont partis ensuite d’eux-mêmes. » (Page 217).
Précisément, l’auteur nous propose une remarquable plongée dans l’Egypte contemporaine et il apporte un regard vivant sur de nombreux thèmes : la condition ˝moderne˝ de la femme, la laïcité qui s’essouffle, les libertés individuelles bafouées quotidiennement, l’homosexualité et la sexualité (deux sujets qui font l’objet de développements assez longs, comme pour mieux marquer l’hypocrisie qui les entoure), la corruption, présente dans chaque acte de la vie. La force du roman vient d’un procédé simple et efficace. L’auteur met en regard le parcours de personnages très différents. C’est le cas par exemple de l’homosexuel, qui ne revendique ni n’affiche rien d’ostensible mais souhaite seulement jouir de la liberté sexuelle, et celui du jeune, qui, dépité après son échec dans la police, s’engage dans un mouvement islamiste dénonçant l’alcoolisme, la fornication, l’homosexualité, etc.