29 janvier 2006

Joseph Delteil : Sur le fleuve Amour

"A cheval devant l'océan pacifique. Toute l'armée Sémenoff grouillait sur les quais de Nicolaievsk. De maigres Ostiaks rôdaient sans relâche autour du môle en briques en dévisageant de belles Mongoles de miel allaitant des enfants jaunes. Un pope accroupi devant une borne déclamait des incantations. Des estafettes en pleurs passaient sur de petits chevaux de l'Oural."

Avec Sur le fleuve Amour, Joseph Delteil (1894-1978) raconte une épopée incroyable. Les deux personnages principaux sont épris d'une femme. Il parcourent tous trois un pays en guerre, et cela donne lieu à un conte épique d'une grande beauté.
C'est une histoire tragique, où l'amour pour une femme l'emporte sur l'amour fraternel.
C'est une histoire de passions.
C'est surtout un voyage haut en couleurs dans des pays habités par des peuplades de toutes sortes.
Il y a dans ce texte beaucoup d'exubérance mais tout autant de dépaysement et de beauté.
(la plupart des romans de Joseph Delteil sont publiés dans la collection Cahiers Rouges, de Grasset.
et aussi, sur le net : http://josephdelteil.net/)

20 janvier 2006

Katherine MANSFIELD : Journal

"Le vent s'est éteint au coucher du soleil. L'anneau brisé d'une lune est suspendu dans l'air vide. Il fait très calme. J'entends quelque part une femme chantonner doucement une chanson. Peut-être est elle blottie devant le poêle dans le corridor, car c'est une chanson comme les femmes chantent devant le feu, rêveuse, tiède, assoupie, confiante. Je vois une petite maison, avec des plates-bandes fleuries sous les fenêtres et la masse moelleuse d'une meule de foin par derrière. Toutes les poules sont allées se coucher : ce sont, sur les perchoirs, des tâches molles et laineuses. Le petit cheval est à l'écurie, une couverture sur le dos. Le chien est étendu dans la niche, la tête sur les pattes de devant. Le chat est autour de lui. Et l'homme, jeune encore, insouciant, approche ; il gravit la route derrière la maisonnette. Soudain, une tâche de lumière apparaît à la fenêtre et tombe sur la corbeille de pensées au dessous ; l'homme presse le pas en sifflant."

18 janvier 2006

Julien Gracq est toujours vivant...

Frédéric Beigbeder : Mémoires d'un jeune homme dérangé


Ne nous trompons pas : si l'humour de Beigbeder donne l'assurance de passer à chaque fois un agréable moment, on trouve aussi toujours une causticité empreinte d'autodérision et de réalisme. Ce qui fait rire donne toujours à réfléchir.
Car Beigbeder sait écrire. Il nourrit son texte de références, il adopte un style moderne, fait la phrase avec les mots d'aujourd'hui, et donne la preuve qu'avec un vocabulaire très actuel on peut écrire avec détachement (humour), sensibilité et vérité.
Sous ses airs futiles et comique "à deux balles", FB alimente sérieusement la réflexion sur les tics de notre époque. Il s'interroge avec perspicacité sur le monde contemporain et permet au lecteur, assidu ou non, de trouver, en (sou)riant, ce qui détermine notre société : l'argent (toujours), le sexe (un peu), la drogue (suffisamment), l'alcool (idem), les femmes et le questionnement sur sa propre utilité et les vraies valeurs.
"Tant qu'à être mesquin, autant y aller carrément. Il n'y a pas que les cercles qui soient vicieux."
Sans se prendre au sérieux donc, FB nous invite pourtant à véritablement nous contempler dans nos vices, nos manies et nos "médiocritudes".
(on lira, avec gravité et interrogation, l'excellent Windows on the world, du même auteur.)
(et aussi, plus légers : L'amour dure trois ans, 15 euros, etc...)
(notons enfin : Dernier inventaire avant liquidation. Cet opus qui établit un top 50 des romans français du XXème siècle est une merveille de fiches de lectures non conventionnelles. Il permet de revenir d'une manière très sympathique sur ce qu'on a lu ou aurait du lire. EXCELLENT !!)

04 janvier 2006

L'écrivain lyonnais Charles Juliet

Lambeaux (POL éditions - 1995 puis Folio n° 2948)

A la fois courts et denses, les deux récits qui composent ce livre, sont empreints de douleur et de beauté. Ils se lisent cependant très facilement, et marquent par leur pudeur et par la sincérité du propos.
Ce livre, qu'on devine être l'exutoire d'une souffrance jusqu'alors non écrite, touche le lecteur par une économie de mots et un style de phrase qui est tout sauf emphatique.
Charles Juliet opère ainsi un retour sur la vie de sa mère et sur sa propre vie :
"Médecin, enseignant, écrivain. Selon toi, les trois plus belles professions qu'on puisse imaginer. Soigner les corps et les psychés. Former de jeunes esprits, leur apprendre à penser, les préparer à la vie. En écrivant, se délivrer de ses entraves, et par là même, aider autrui à s'en délivrer. Parler à l'âme de certains. Consoler cet orphelin que les non-aimés, les mal-aimés, les trop-aimés portent en eux. Et en cherchant à apaiser sa détresse, peut-être adoucir d'autres détresses, d'autres solitudes."
C'est une étonnante et touchante confession à laquelle se livre Charles Juliet.
"Tu as cette boulimie de l'autodidacte qui a honte de son ignorance et veut coûte que coûte en réduire l'étendue."
Charles JULIET sur le site de son éditeur : http://www.pol-editeur.fr/catalogue/ficheauteur.asp?num=103