18 décembre 2005

Les phares de 2005

Voici une liste non exhaustive de quelques vrais plaisirs de l'année 2005 :

- Le seigneur des porcheries, de Tristan Egolf (voir les archives) : à ne manquer sous aucun prétexte.

- Le dernier vol de Lancaster, de Sylvain ESTIBAL : le dépaysement et l'émotion servi par une construction habile et captivante.

- Lunar Park, de Bret EASTON ELLIS : drogue, sexe, Etats-Unis d'après le 11 septembre, un roman formidable et déroutant.

- Johnny s'en va-t-en guerre, de Dalton TRUMBO : ce qu'on a pu écrire sur la guerre n'existe plus après ça ! Terrible et émouvant.

- La promesse, de Chaïm POTOK : une plongée passionnante dans la communauté juive new-yorkaise des années 60.

- Farrago, de Yann APPERY : une très belle histoire riche, dense et émouvante.

- Nord Michigan, de Jim Harrisson : peut-être ce qu'il y a de mieux pour s'évader dans les Etats-Unis contemporains.

Se souvenir de Jean Giono (2)...

QUE MA JOIE DEMEURE (Bernard Grasset 1934 puis Folio)

"C'était une nuit extraordinaire.
Il y avait eu du vent, il avait cessé, et les étoiles avaient éclaté comme de l'herbe. Elles étaient enfouies en touffes avec des racines d'or, épanouies, enfoncées dans les ténèbres et qui soulevaient des mottes luisantes de nuit.
Jourdan ne pouvait pas dormir. Il se tournait, se retournait.
"Il fait un clair de toute beauté", se disait-il.
Il n'avait jamais vu ça.
Le ciel tremblait comme un ciel de métal. On ne savait pas de quoi puisque tout était immobile, même le plus petit pompon d'osier. Ça n'était pas le vent. C'était tout simplement le ciel qui descendait jusqu'à toucher la terre, racler les plaines, frapper les montagnes et faire sonner les corridors des forêts. Après, il remontait au fond des hauteurs. (...)
Pas de lune, oh ! pas de lune. Mais on était comme dessous des braises, malgré ce début d'hiver et le froid. Le ciel sentait la cendre. C'est l'odeur des écorces d'amandiers et de la forêt sèche.
"

Qui peut dire, en lisant Que ma joie demeure, en se confrontant à la densité de textes où foisonnent les images, et où un véritable univers romanesque se dessine, que Giono est un écrivain régionaliste ?

Justine Lévy

Rien de grave
(éditions Stock - 2004 puis Le livre de poche - 2005)

C'est une confession d'une grande sensibilité que nous livre ici la fille de BHL.
Elle raconte la vie bousillée par les médicaments, la dépendance, la maladie de la mère, la séparation d'avec l'homme aimé.
Elle dit tout cela, sans fards ni détours. Et c'est très émouvant, parce qu'il n'y a rien d'artificiel. Ce n'est pas la rédaction d'après un atelier d'écriture. C'est une mise à nu remarquablement pudique, écrite sur le fil du rasoir, et qui me fait penser aux livres d'Hervé Guibert.
Le style préserve la sincérité. Il exprime toute la violence intérieure, tous les tourments :
"Plus tard, quand je serai bien réveillée, je lui dirai Maman je ne veux pas que tu entres dans ma chambre comme ça le matin, je ne suis pas seule, je n'ai plus quinze ans. Elle réalisera, elle sera humiliée, elle sera mortifiée (...) Mais moi aussi j'aurai honte, qu'est-ce que ça peut faire, quelle importance qu'elle entre dans ma chambre, elle est malade, elle veut rattraper toutes ces années sans thé au miel (...) qu'est-ce que j'en ai à foutre de mon intimité, elle est si, elle est si, quels mots pour dire cette tendresse-là, cet amour-là (...)"
La grande force de cette confession est qu'elle est tissée autour de l'amour. L'amour pour la mère, l'amour pour le compagnon, l'amour de la vie, finalement, qu'il faut se résigner à embrasser comme les autres...
"Aimer ça ne veut pas dire se ressembler. Aimer ça ne veut pas dire être pareils, se conduire comme deux jumeaux, croire qu'on est inséparables. Aimer c'est ne pas avoir peur de se quitter ou de cesser de s'aimer. Aimer c'est accepter de tomber, tout seul, et de se relever, tout seul, je ne savais pas ce que c'est qu'aimer, j'ai l'impression de le savoir aujourd'hui un peu plus."
Il ne faut pas finir l'année 2005 sans avoir lu cette confession moderne et nourrissante.

17 décembre 2005

Semprun / Guilloux - Décembre 2005


Louis Guilloux, par Jorge Semprun.

"Du purgatoire littéraire, je sortirais, sans la moindre hésitation, Louis Guilloux. Pour moi, ce romancier français est l'un des plus grands auteurs du XXème siècle. Je l'ai découvert complètement par hasard à mon arrivée à Paris. A l'époque, j'étais étudiant au lycée Henri IV et je lisais énormément d'auteurs contemporains. Un jour, je suis tombé sur Le sang noir qui est à mon avis son plus beau roman.

Au fil de ma lecture, je fus littéralement conquis pas la beauté désespérée du style de cet écrivain. Comme tous ses lecteurs, j'avais été frappé par la noirceur de cette histoire. Malraux avait même écrit que la mort était probablement le personnage principal du Sang noir.

Ce livre est un pur chef-d'oeuvre ! S'il a raté de peu le prix Goncourt en 1935, il a néanmoins connu un succès immédiat et international... J'en garde une impression vraiment formidable. Je le relis souvent et à chaque fois l'émotion ressentie est encore plus forte. Sincèrement, cet auteur devrait être réhabilité. Il mérite de faire partie de nos lectures d'aujourd'hui !"
(LIRE N° 341 - Décembre 2005)

13 décembre 2005

René Char (citation)


"Avec ceux que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n'est pas le silence."

12 décembre 2005

Poésie : René CHAR


"Ne te courbe que pour aimer. Si tu meurs, tu aimes encore." (Feuillets d'Hypnos)

Né en 1907 à L'Isle sur la Sorgue,
René Char adhère à 22 ans au mouvement surréaliste.
Il signe un recueil en commun avec Breton et Eluard mais reprend bien vite son indépendance en 1934.
Son oeuvre sera désormais celle d'un solitaire et d'un homme d'action en prise avec son temps : en 1937, il dédie son Placard pour un chemin des écoliers aux "enfants d'Espagne".
Démobilisé en 1940, il entre presque aussitôt dans la Résistance sous le nom de guerre d'Alexandre. Cette expérience sera relatée dans 'Les Feuillets d'Hypnos' (1946).

Après la Libération, 'Seuls demeurent' (1945), somme des temps de guerre, est suivi du 'Poème pulvérisé' (1947), de 'Fureur et mystère' (1948) et des 'Matinaux' (1950) qui ont"mission d'éveiller", au sortir de la réclusion, aux mille ruisseaux de la vie diurne.

Sa poésie est abrupte, hermétique. Tout son travail résidait dans l'épuration de ses phrases jusqu'à les réduire à de fulgurants instantanés.

René CHAR est décédé le 19 février 1988.


Pour débuter, on lira (et relira) avec intérêt Fureur et mystère.

Julien Gracq (1)

Julien Gracq.

Pour Gracq, c'est différent.
Si reconnu et pourtant ignoré du plus grand nombre.
A l'heure où j'écris, toujours vivant, et si mystérieux.
Pour ceux qui n'auraient jamais lu Gracq, je suggère de débuter par Le rivage des Syrtes.
Ce livre, qui a le plus fait connaître Gracq, est rempli de mystère. Il permet déjà en ce sens d'approcher l'auteur.
Ce roman est aussi plein de voyage, d'émotions et de beauté.
Les lieux : le Farghestan, Orsenna (l'amirauté, la forteresse, Maremma).
Les personnages : Aldo, Vanessa, Marino, Fabrizzio.
"Celui d'un peuple entier, collé au sol et maintenant averti par son oreille profonde, que les temps venus poussaient sur la scène, et qui pêle-mêle, abandonnant ses venelles et ses caves, se bousculait d'instinct vers le seul jour qui vaille qu'on s'y brûle : le grand jour."
Le livre est tout entier guidé par cette hypothèse, par ce moment. Les thèmes sont variés : la vie de la cité, l'essor de la société, la volonté de faire la guerre. En faisant explorer à ses personnages un ailleurs indéfinissable qui jalonne l'ensemble du récit, Gracq ne définit-il pas une limite vers laquelle tend toute société ?
Pour autant, je ne pense pas qu'il faille lire en cherchant les messages et les codes : si Gracq s'approche du surréalisme, c'est aussi pour qu'on lise sa prose merveilleuse en se laissant aller complètement au plaisir de la lecture...
Pour en savoir plus, le mini-site consacré à Gracq sur le site de son éditeur José Corti :
http://www.jose-corti.fr/auteursfrancais/gracq.html

11 décembre 2005

Louis Guilloux (1899 - 1980)


15 janvier 1899 :
Naissance de Louis Guilloux à Saint-Brieuc.
Son père est cordonnier, militant socialiste actif.

1916 : Cette année-là débute son amitié avec le professeur et philosophe Georges Palante.

1917 : Début de l’amitié entre Louis Guilloux et Jean Grenier (philosophe et professeur d’Albert Camus à Alger).

1921 – 1926 : Il écrit pour lui-même, selon sa propre expression ; il exerce divers métiers. Il fréquente Grenier, Henri Petit, se lie d’amitié avec Chamson.

05/08/1925 : Georges Palante se suicide près de Saint-Brieuc.
Guilloux le fera revivre sous les traits du personnage principal dans Le sang noir.

1926 : Il fait la connaissance de Guéhenno et Malraux ; il rencontre André Billy et écrit des feuilletons pour différents journaux. Il est présenté en 1926 à Daniel Halévy, qui dirige la collection « les cahiers verts » chez Grasset.

1927 : Il rédige et publie La maison du peuple (chez Grasset) et obtient la bourse Blumenthal.
L’écriture devient son métier.

1933 : En s’occupant des réfugiés de toutes nationalités, et des chômeurs, Guilloux s’engage dans des activités « politiques ». Il prend part aux luttes bretonnes contre les ventes-saisies.

1935 : Avec Le sang noir, Guilloux manque de peu le prix Goncourt.
Il participe et devient secrétaire au Congrès mondial des écrivains antifascistes.

1936 : Voyage en URSS, avec Gide. Il refuse ensuite de prendre parti contre André Gide, et doit mettre fin à sa collaboration avec le journal Ce soir, quotidien dirigé par Aragon. Il devient responsable du Secours rouge international puis du Secours populaire de France à Saint-Brieuc.

1940 : La Bretagne est occupée par les allemands. Guilloux abrite des clandestins.

1943 : Perquisition de la milice au domicile de l’auteur. Guilloux se réfugie à Joigny chez des amis résistants.

1944 : Louis Guilloux est contraint de quitter Saint-Brieuc pour Toulouse.
Au moment de la libération, il est interprète auprès de l’armée américaine (épisode de sa vie relaté dans O.K. Joe ! paru en 1976). En 1947, il obtient la Légion d’honneur.

1961 : Collabore au Haut commissariat aux réfugiés. Guilloux enquète en Allemagne, Italie et en Grèce. Publication de Cripure, pièce tirée du roman Le sang noir.

1967 : Guilloux obtient le Grand prix national des lettres. Cripure est créé par Marcel Maréchal et le Théâtre de Cothurne.

1968 : Action en faveur de l’instauration des maisons de la culture.

1971 : Décès de son ami Jean Grenier.

1973 : La télévision diffuse Les Thibault, de Roger Martin du Gard, adapté par Guilloux.
Il obtient le Grand prix de littérature de l’Académie française.

1974 : Le pain des rêves est adapté à la télévision.

1980 : Le 14 octobre, décès de Louis Guilloux. Les obsèques sont célébrées quelques jours plus tard dans la cathédrale de Saint-Brieuc.

Louis Guilloux, écrivain du 20ème siècle

La vie de Louis Guilloux est celle du 20ème siècle, tant on retrouve, dans chacun de ses livres, les événements qui ont jalonné l’Histoire contemporaine.

Dans la préface de sa thèse (Thèmes et symboles dans l’œuvre romanesque de Louis Guilloux - Klincksieck, 1979) consacrée à l’auteur du Sang noir, Yannick Pelletier nous fait comprendre certains aspects de l’œuvre de Guilloux :

« Louis Guilloux a traversé son siècle, c’est-à-dire, des révolutions, des guerres et le mal sous toutes ses formes (…) Son œuvre également se confond avec le siècle dont elle évoque l’histoire, de la Première guerre mondiale à la guerre du Vietnam, dont elle aborde tous les questionnements.»

Dans le recueil « Louis Guilloux, homme de parole » que la ville de Saint-Brieuc a composé pour le centenaire de la naissance de l’écrivain, Christian Bougeard, professeur d’histoire contemporaine, apporte des précisions :

« L’écrivain briochin Louis Guilloux a traversé la plus grande partie du 20ème siècle en étant toujours attentif aux hommes mais aussi aux événéments. Sa vie et son œuvre portent la marque des espoirs et des drames, des agitations et des fureurs de ce siècle finissant.
A deux titres au moins, parcours de l’homme et publications de l’écrivain intéressent l’historien. (…) L’œuvre peut être lue comme reflet ou représentation de l’événement ou d’une période : de la grande dépression des années 1930 à l’occupation, la Résistance et la Libération. Elle peut être analysée comme vision de la société (bretonne et briochine) et de certains milieux sociaux. Mais si Louis Guilloux a sans cesse puisé dans son expérience personnelle un matériau historique, l’écrivain n’est pas un simple chroniqueur. (…) Il se fait aussi acteur quand le narrateur raconte, par exemple dans Le jeu de patience, la manifestation du 11 février 1934 à Saint-Brieuc, en riposte aux émeutes parisiennes du 6 février 1934, quitte à grossir le trait.

Les premiers ouvrages de Louis Guilloux, La maison du peuple et Compagnons, plongent directement leurs racines à la fois dans l’histoire familiale et dans l’histoire politique de la laborieuse naissance, avant 1914, du parti socialiste SFIO à Saint-Brieuc. Dans La maison du peuple, derrière les personnages du roman, l’historien peut identifier les travailleurs et les militants dont les archives ont conservé la trace.

Louis Guilloux appartient à une génération qui était trop jeune pour avoir participé aux combats de 1914-1918. Cripure, et les personnages du Sang noir évoluent dans une petite ville de l’arrière, marquée en 1917 par les effets du conflit et les espoirs qui se lèvent à l’Est avec la Révolution russe. Louis Guilloux s’est certainement inspiré de plusieurs incidents survenus à Saint-Brieuc en 1917. Mais le roman, qui dénonce le bellicisme imbécile d’une petite bourgeoisie de province et plaide pour le pacifisme, ne correspond pas aux sentiments du jeune Guilloux, qui reconnaît qu’il a d’abord été fasciné par l’élan guerrier des débuts d’une mobilisation perçue comme une recherche de la fraternité.

L’impact sur les romans de l’engagement de Louis Guilloux durant les années 30 est bien connu. Les batailles perdues décrivent une vision désenchantée de cette période qui nous plonge au cœur de la grande crise économique et des luttes paysannes contre les ventes-saisies. L’année 1934 est un moment important du Jeu de patience qui évoque la construction du Front Populaire entre communistes et socialistes à travers la formation d’un comité de chômeurs et le Secours rouge. Le compagnonnage avec le PCF et l’amitié avec André Malraux et André Gide conduisent Guilloux à participer comme organisateur au premier Congrès des écrivains pour la défense de la culture de Paris, en 1935, c’est-à-dire au combat antifasciste.

Et puis, après une brève collaboration au quotidien communiste Ce soir, dirigé par Louis Aragon et Jean Richard Bloch, c’est la plongée militante pour l’accueil des réfugiés espagnols dans les Côtes-du-Nord. Cette expérience sert de trame à Salido (écrit en 1978).

Enfin, avec leurs trous et leurs silences, notamment sur le rôle discret de Louis Guilloux dans la mise en relation en 1943 des principaux mouvements de Résistance des Côtes-du-Nord, les Carnets sont une source indispensable à l’historien des années noires de la Libération. On y suit les difficultés de la vie quotidienne et le poids de l’occupation, la montée des angoisses au rythme du durcissement de la répression, les joies et turbulences de la Libération, les formes de l’épuration… L’image des armées libératrices, renvoyée par l’écrivain dans OK, Joe ! (1978), ne sort pas grandie de son bref contact avec la justice militaire américaine.

L’historien ne peut donc que faire son miel de l’œuvre de Louis Guilloux, une œuvre totalement ancrée dans l’histoire de la première moitié du 20ème siècle ».

08 décembre 2005

Maison des autres - Silvio D'Arzo


(Rivage poche - Traduit par Bernard Simeone).

"Soudain, du sentier des pâturages, mais encore très loin, arriva l'aboiement d'un chien. Tous nous levâmes la tête. Puis de deux ou trois chiens. Puis le bruit des clarines de bronze. Penchés autour de la paillasse, il y avait moi, deux ou trois femmes de la maison, plus loin quelques vieilles du village."

Grand admirateur de James et de Conrad, D'Arzo sait bien que les moments essentiels sont ceux où "il ne se passe rien". Mais ce rien engendre ici une prose tendue et scandée où chaque mot semble arraché à la plus secrète réticence.
La douloureuse question que la vieille femme de Maison des autres, après maints détours et lapsus, pose au prêtre d'un village perdu de l'Apennin émilien ne peut avoir de réponse. Dans un univers minéral et désolé que rythme le retour obsédant des saisons et des gestes, à peine troublé par le drame indicible qui fait le livre, elle renvoie chaque lecture au profond de lui-même.

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L’auteur (source : Editions Verdier / www.editions-verdier.fr)
De son vrai nom Ezio Comparoni, Silvio D’Arzo est sans conteste un des auteurs italiens les plus mystérieux de ce siècle. Fils unique et illégitime d’une cartomancienne de Reggio Emilia, il est né dans cette ville en 1920 et y est mort d’une leucémie en 1952 en laissant de nombreux inédits, dont Maison des autres (Casa d’altri), son chef-d’œuvre et, de l’avis de critiques aussi divers que Montale, Bassani ou Attilio Bertolucci, un des récits les plus parfaits de toute la littérature italienne. De son vivant, ne paraîtront guère que le juvénile roman À l’enseigne du Bon Coursier (All’insegna del Buon Corsiero), vraisemblablement écrit à l’âge de 18 ans, et, dans des revues, de très courts récits ou textes critiques. Lecteur passionné des auteurs classiques ou contemporains anglo-saxons et américains, critique aigu et non conformiste des œuvres de Stevenson, James ou Conrad, il a publié de nombreux articles sur cette littérature dont la traduction apparaissait alors à de nombreux auteurs italiens, tels Vittorini et Pavese, comme un moyen de déjouer la censure fasciste. Ses autres récits, comme Penny Wirton et sa mère (Penny Wirton e sua madre), ou encore Le Pingouin sans frac (Il pinguino senza frac), un texte pour enfants, témoignent de l’importance que la littérature anglaise du XVIIIe siècle a pu avoir pour cet auteur solitaire mais passionnément attaché au moment particulier que traversait alors l’Italie des lettres en se libérant de ses rêveries « arcadiennes ». La mort le surprendra alors qu’il entamait la rédaction de Notre lundi, d’un inconnu du XXe siècle (Nostro lunedì, di Ignoto del XX secolo), texte composite fidèle à divers procédés narratifs entrecroisés, dont il ne reste que des ébauches et de courts récits qu’on peut lire aujourd’hui de manière indépendante : D’Arzo considérait ce projet comme celui d’une véritable Énéïde de notre temps. Il faut souligner la grande originalité formelle de l’ensemble de son œuvre : elle dérive de la prosa d’arte (la prose d’art), infléchie dans un sens fantastique parfois proche du réalisme magique, mais ne renie pas l’influence du théâtre de Goldoni, et se leste d’une densité métaphysique stupéfiante compte tenu de l’âge de l’auteur.

06 décembre 2005

Tristan Egolf !


A défaut d'être original quant à la destination choisie (la Côte d'Azur), un été (de lecture) peut devenir terriblement enrichissant. A savoir la révélation Egolf.
Je veux dire : TRISTAN EGOLF.
Et son roman : LE SEIGNEUR DES PORCHERIES.
Le titre n'inspire pas forcément l'envie de lecture. Et pourtant. On est ici confronté à un anti-héros, à un univers incroyable, à une histoire qu'on ne peut plus lâcher. John est garçon de ferme, dans une ville des Etats-Unis. Il subit toutes les vexations, se rebelle, sourdement, mais effroyablement. Le roman semble écrit avec rage et, véritablement, il envoûte.
Il y a une densité à nulle autre pareille. C'est à ne manquer sous aucun prétexte et c'est aussi juste une idée de lecture, pour ne pas mourir idiot...
(on lira à ce propos un article paru dans Le Monde du 1er juillet 2005 http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3230,36-668353,0.html )

04 décembre 2005

Se souvenir de Jean Giono (1)


... et revenir à Que ma joie demeure.
Jean Giono (1895-1970), écrivain d'une Provence imaginaire comme Faulkner l'était d'un Sud imaginaire, n'a pas donné dans la littérature régionaliste.
Il a créé, mieux que beaucoup, des univers romanesques, durs, vrais et parfois mystérieux.
Dans Que ma joie demeure, il parle de la terre et des hommes.
Il livre quelques enseignements simples mais méditatifs et étrangement d'actualité :
"Je dis qu'on est dans la joie quand tous les gestes habituels sont des gestes de joie, quand c'est une joie de travailler pour sa nourriture. Quand on est dans une nature qu'on apprécie et qu'on aime."
"Le monde se trompe, dit Bobi, vous croyez que c'est ce que vous gardez qui vous fait riches. Moi, je vous dis que c'est ce que vous donnez qui vous fait riches."

Le jeu des citations est limitatif, mais il faut se souvenir de cela en pensant à Giono, et revenir aussi à son réquisitoire implacable contre la guerre : Le grand troupeau.
(à suivre...)

03 décembre 2005

Poésie d'Afrique

Rêve d'un continent d'amour rêvé

Nous sommes ici
Pour rêver et rêver encore
Pour rêver de forcer l'avenir
Pour rêver de tourner la face de nos destinées vers le soleil
Nous sommes ici
Parce que nous croyons à ce rêve d'enfant
C'est un rêve vivant
La vie a repris son vol au-dessus des collines
Cette vie balbutiante
La face cachée des larmes enfouies dans notre chair
Cette vie est une réalité
Un jour nous dormirons à la belle étoiles sur les collines
Nous irons à Nyanza célébrer notre amour dans le berceau
De nos traditions
Nous irons à l'Île de Gorée
Nous incliner devant la mémoire de nos
Arrière-grands-parents esclaves
Nous irons planter des graines d'amour sur les plages
De Mombassa
Nous irons au Fouta-Djalon sur les traces des Peuls ivres
De beauté
Nous jouerons aux funambules
Sur la corne de l'Afrique taillée en flûte de nomade
Nous baiserons le soleil ardent de N'Djamena
Nous boirons au chalumeau la bière de sorgho
A Bobo Dioulasso
De ces nuits délavées naîtront des mots d'amour
Des mots-babel qui peupleront toute l'Afrique.

Nocky Djedanoum