07 novembre 2006

Daniel Rondeau : L'enthousiasme

Très fort, sobre, et très très beau !

Ce récit autobiographique, à la phrase courte mais magistrale, convie le lecteur à suivre les premières années de l’auteur, celle de sa vie de « Mao », celle d’un sympathisant à la cause révolutionnaire.
Rondeau le dit lui-même, et assez souvent : quelle était la vraie motivation à cet engagement, quel était l’horizon cherché ? Pour autant qu’il puisse être honnête avec lui-même, et qu'il détecte, longtemps après, les aspérités et les fatuités de son engagement, il ne remet pas fondamentalement en cause cette vie qu’il s’était choisie, celle de l’établissement (le renoncement à la vie étudiante pour la pratique ouvrière, l’insertion dans le monde de l’usine).
Il y a, tout au long du récit, la force de cette sincérité.
« Peut-on, à peine sorti de l’ivresse de l’adolescence, flairer l’avenir, et se faire une idée nette des manigances du hasard, de la fatalité et de la volonté ? » (Page 130)
Le style de Daniel Rondeau s’appuie sur une phrase courte donc, et un vocabulaire riche. Certaines descriptions sont de toute beauté autant que d’austérité :
« J’ai retenu une chambre dans un hôtel de la place Stanislas. (…) la claire beauté des façades me saute à la figure. Je respire un air vif, tombé des Vosges, dont les chaumes sont calottés de neige. Tout est net. Les pavés de la place, débarrassée de la circulation des autos, semblent astiqués par la nuit (…) Aux quatres coins du ciel, en équilibre sur de hautes corniches, des angelots arborent des sourires de marbres. Sur les piques et les grilles de Jean Lamour, une poussière d’or frais éclabousse le silence de sa jeune lumière. » (Page 123)

01 novembre 2006

Jean GIRAUDOUX - (citation)

"- Comment cela s'appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd'hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l'air pourtant se respire, et que tout est perdu, que la ville brûle, que les innocents s'entretuent, mais que les coupables agonisent dans un coin du jour qui se lève ?
- Cela a un très beau nom (...) cela s'appelle l'aurore."


(Electre, 1937 )



29 octobre 2006

Michel SERRES - (citation)


"L’incompréhension de ce pourquoi on abandonne, de ce pourquoi on est abandonné, voilà peut-être ce que l’on peut dire de plus terrible et profond sur les psychologies et sur les sociétés humaines.
Qu’est-ce que l’homme ? La déréliction faite chair."

"L'abandon sculpte nos âmes."


in Petites chroniques du dimanche soir (entretiens) - 2006

Grâce et dénuement - Alice Ferney



Une famille de gitans reçoit depuis peu la visite régulière d’Esther. Cette dernière vient, bénévolement, tous les mercredis, lire des histoires aux enfants du campement. Alice Ferney écrit quant à elle une histoire toute de simplicité, d’émotion et de vie. Elle porte, longuement, un regard sur l’autre, sur celui dont on ne veut pas sentir l’odeur, celui dont on ne supporte pas les habitudes, celui qui, malgré ses fiertés, souffre. Ni angélisme, ni violence. Ce texte dit en même temps la simplicité des relations qu’on doit savoir nouer avec celui qui ne nous ressemble pas et l’idiotie des préjugés qui tuent toute société.
A lire absolument !

29 septembre 2006

Petites chroniques du dimanche soir - Michel SERRES

Chaque dimanche soir, depuis septembre 2004, Michel Serres, philosophe, penseur de notre temps, répond à l’invitation d’une grande station de radio pour aider l’auditeur « à regarder l’actualité sous un angle différent. »
Les sujets abordés couvrent tous les domaines : l’abandon et l’adoption, la rumeur, la triche, les soixante-dix ans de la télévision, la mort du Pape Jean-Paul II, la responsabilité, la drogue, la BD, la néoculture, etc. L’apport de la chronique radiophonique est sans conteste, grâce au format (sept minutes) et au large public touché, une simplification intelligente. De surcroît, Michel Serres est très bon pédagogue ; la transcription de ces entretiens rend les sujets très accessibles au plus grand nombre. On peut donc extraire de ces soixante-quatorze conversations les citations et repères suivants :
Concernant les problèmes climatiques, Michel Serres constate qu’après de nombreuses périodes de glaciation et de déglaciation, d’où l’homme était exclu, on peut affirmer maintenant que le climat est influencé par l’homme. D’ailleurs, l’Université fabrique deux types de communautés : les littéraires et les scientifiques. Les premiers font vivre la cité (politique et sciences humaines) et peuvent agir sur le climat. Les seconds comprennent les mécanismes scientifiques et n’ont pas la possibilité d’agir. M. S. déplore cette dichotomie. « Je souhaite vraiment que l’éducation ou la pédagogie mélange les deux sciences, en établissant des ponts entre les deux savoirs. » (Page 18). Au sujet des handicaps, M. S. note que « la surdité et le mutisme dépassent de loin le monde du handicap, pour nous concerner nous, ˝ normaux ˝ » et « Combien de sourds aux propos d’autrui ? (…) Qui entend et qui écoute vraiment ? Combien de couples de s’entendent pas ? ». (Page 27). Plus loin, il proclame haut et fort la nécessité de dire la vérité, toujours, car ni le monde ni la nature ne nous trompent. « Oui, dire la vérité est une loi universelle. » (Page 34). Sur la bande dessinée, et sur Tintin en particulier, le philosophe nous livre une interprétation : « Comme beaucoup d’ethnologues (…), il part du musée des Colonies (…) pour nous convier à l’amitié sans partage entre les peuples du monde, sans aucune distinction. Mieux encore, il nous apprend, parmi la blancheur des neiges de l’Himalaya, que celui que les hommes appellent le pire des hommes est bon. » (Page 42).

Parlant de la Toussaint, il évoque le Panthéon dont il dit qu’il « correspond à une cathédrale laïque ». La triche, au quotidien, le fait bondir, pour tout ce qu’elle implique. Un homme d’affaires par exemple qui, dans le train, fume ostensiblement sa cigarette sous le logotype l’en interdisant se discrédite face à l’étranger susceptible de traiter avec lui. Comment en effet être certain de son engagement alors qu’à la première occasion il triche. Idem pour le gynécologue qui aurait triché pour obtenir son diplôme et auquel on ne pourrait plus accorder aucune confiance. « (…) tricher n’est pas une plaisanterie légère, puisque tout à coup il s’agit de mourir. » (Page 63). Michel Serres se livre ensuite à une lecture inattendue de l’Evangile : « Moderne, le christianisme substitue cette famille adoptive à la famille naturelle, en substituant à une loi naturelle, celle de l’engendrement, la liberté individuelle de choisir quelqu’un parce qu’on l’aime. Une liberté se substitue à une loi naturelle. (…) Cette liberté fonde, je le crois, l’ère moderne. » (Page 80).
A propos de la langue française et de son déclin, Michel Serres tire un constat peu banal : « Il y a aujourd’hui, sur les murs de Paris, plus de mots anglais qu’il n’y avait de mots allemands pendant l’Occupation. » (Page 132). Pour la religion, il remarque que, très affaibli, déclinant et surtout, souffrant, le Pape Jean-Paul II forçait d’autant plus le respect. « Plus cet homme courbé, accablé, douloureux de maladie et des séquelles de son attentat, luttait contre la mort, plus il rayonnait. (…) Si Dieu existe, je le crois infiniment faible. » (Page 142). De même, le pape a su occuper une place universelle : « Il a inventé une fonction nouvelle (…) en principe remplie par les institutions mondiales. (…) Jean-Paul II a inventé cette place universelle (…) à partir d’une ancienneté de deux millénaires. » (Page 140). Le philosophe parle ensuite de l’Homme, dresse la liste des différentes étapes de la vie où il est exclu, abandonné : le ventre de la mère, l’école, l’internat, l’âge adulte, les amours perdues, etc. pour en venir jusqu’aux dernières paroles du Christ (« Pourquoi m’as tu abandonné ? ») Il en conclut : « L’abandon sculpte nos âmes » (Page 145) et « tout va se jouer, pour la formation personnelle, dans le courage d’avoir été abandonné. » (Page 146). Il ajoute : « L’incompréhension de ce pourquoi on abandonne, de ce pourquoi on est abandonné, voilà peut-être ce que l’on peut dire de plus terrible et profond sur les psychologies et sur les sociétés humaines. Qu’est-ce que l’homme ? La déréliction faite chair. » (Page 146). L’homme, ainsi, dans sa vie politique, individuelle ou collective, doit mieux se soucier de ne pas abandonner l’autre.

Parlant ensuite de la pollution de l’espace par les publicitaires, Michel Serres remarque que ce sont surtout les périphéries des villes qui font l’objet de pollution visuelle par les publicitaires. Revenant sur le thème du climat, il précise que « chaud » ne veut pas dire « sec ». Il préconise, prenant un rôle plus politique, la création d’une instance internationale uniquement chargée des « objets-monde » : eau, air, terre, feu (énergies), vivants. Non plus seulement des sommets internationaux chargés de ces thèmes, mais une véritable institution mondiale. Plus tard, parlant de religion, il nous redit la différence entre le schisme (séparation due à un problème strictement politique) et une hérésie (qui touche à des considérations proprement doctrinales). Il évoque aussi l’intégrisme : « La tentation d’arrêter l’interprétation, de répéter sans cesser la même, ou même d’en rester au pied de la lettre. » (Page 205). Enfin, tenter de vivre libre en prétendant ne pas s’aliéner aux nouvelles technologies, par exemple, revient un peu pour lui à refuser la science, la culture. Or : « Le manque ou l’ignorance, hélas, ne libèrent de rien et rendent plutôt esclave. » (Page 252).

26 septembre 2006

Kafka sur le rivage, de Haruki MURAKAMI

Ce roman est un conte, très moderne, dans le Japon contemporain. Le lecteur voyage dans un intemporel fantastique (le jeune personnage principal retrouve sa mère, un autre personnage ne projette qu'une moitié d'ombre) dans des dimensions d'esprit, de temps et de lieux peu communes. Il faut entrer dans une sphère où les repères habituels tendent à s'estomper au profit d'événements plutôt inattendus, (pluie de poissons ou de sangsues), où l'érotisme tient un rôle assez important, où le temps aussi est bousculé. La quête de l'identité paraît être le thème principal, avec un jeune personnage qui fugue pour retrouver ses repères dans sa propre histoire. Cette quête se croise avec celle du vieux Nakata qui, touché par une amnésie survenue au moment de la guerre (1944) est lui-même en recherche. La narration de leurs parcours initiatiques (l'un découvrira son identité, l'autre le monde tel qu'il est) donne naissance à un roman puissant, enchanteur et passionnant.

31 août 2006

L'Immeuble Yacoubian par Alaa EL ASWANY


(Titre original : Imrat Ya’qubyan, 2002 puis Editions Actes Sud - Janvier 2006 pour la traduction française)

Ce roman, très bien construit, mêle habilement la trajectoire de plusieurs personnages, et, grâce à leurs destins différents, dessine une image très instructive de l’Egypte contemporaine.
Quelques éléments historiques donnent le ton : « Pendant au moins cent ans, le centre-ville était resté le centre commercial social du Caire, où se trouvaient les plus grandes banques, les sociétés étrangères, les centres commerciaux, les cabinets des médecins connus et des avocats, les cinémas et les restaurants de luxe. (…) Jusqu’aux années 1960, le centre-ville avait continué à préserver son caractère authentiquement européen ». (Page 46). L’auteur explique que les tenues traditionnelles n’étaient pas de mise dans le centre ville. « Puis vinrent les années 1970 (…) une vague de religiosité dévastatrice submergea l’Egypte. » (Page 47). Cette islamisation a fait par exemple disparaître un grand nombre de petits bars du centre-ville. Plus loin, un point de vue historique est écrit sans détour : « Abdel Nasser a été le pire dirigeant de toute l’histoire de l’Egypte (…) Il a apporté la crise et la misère (…) et a enseigné aux égyptiens la lâcheté, l’opportunisme, l’hypocrisie (…) Il a chassé les juifs et les étrangers sont partis ensuite d’eux-mêmes. » (Page 217).
Précisément, l’auteur nous propose une remarquable plongée dans l’Egypte contemporaine et il apporte un regard vivant sur de nombreux thèmes : la condition ˝moderne˝ de la femme, la laïcité qui s’essouffle, les libertés individuelles bafouées quotidiennement, l’homosexualité et la sexualité (deux sujets qui font l’objet de développements assez longs, comme pour mieux marquer l’hypocrisie qui les entoure), la corruption, présente dans chaque acte de la vie. La force du roman vient d’un procédé simple et efficace. L’auteur met en regard le parcours de personnages très différents. C’est le cas par exemple de l’homosexuel, qui ne revendique ni n’affiche rien d’ostensible mais souhaite seulement jouir de la liberté sexuelle, et celui du jeune, qui, dépité après son échec dans la police, s’engage dans un mouvement islamiste dénonçant l’alcoolisme, la fornication, l’homosexualité, etc.

24 juin 2006

Le dernier Jim Harrison est une merveille !


L'été où il faillit mourir (Éditions Christian Bourgois - Mars 2006) est un recueil de trois nouvelles. L'écriture de Jim Harrison s'est vraiment bonifiée au fil du temps, et ces trois histoires sont remarquablement écrites, toutes de sensibilité. Les descriptions de l'Amérique, des paysages et des saisons sont époustouflantes, le rythme de la narration ne laisse jamais place à l'ennui. Le troisième récit, au titre de Traces, particulièrement beau, est une autobiographie très pudique, écrite à la troisième personne du singulier, ce qui lui donne du relief et accentue la poésie du propos. Ce livre est remarquable.

Page 264 : "D'agréables petits jeux étaient possibles dans le Massachusetts, qui étaient hors de question dans le Middle West. Par exemple, si son itinéraire l'amenait à proximité de Concord, il pouvait penser à Emerson et à Thoreau ; plus au nord le long de la côte, c'était Hawthorne ; mais au sud et de manière plus sympathique, c'était la ville de New Bedford dont le front de mer éveillait chez lui des souvenirs plus précis de Melville. Absurdement, une gargote grecque de Plymouth le fit réfléchir à Kazantzakis, et lorsqu'il se promenait sur une plage proche de Hingham, en pensant par intermittence à son vieil et triste ami Kierkegaard, une fille en maillot de bain vert fit soudain bifurquer ses cogitations vers Henry Miller."

Page 264 : "Le travail et le sens de l'économie constituaient le soubassement de sa réalité apprise. Et si jamais il devait devenir écrivain, il se doutait vaguement que pareille éthique constituait aussi le fondement de cette profession. Il y avait certes un peu d'inspiration, disait Faulkner, mais surtout beaucoup de labeur."

Jim Harrison est né à Grayling, Michigan, et a fait ses études à l'Université du Michigan. Il décide de devenir écrivain à l'âge de douze ans, lorsqu'il comprend que cette profession propose une façon de vivre plutôt séduisante. Dans ses premiers écrits, il s'inspire largement de la vie de son père fermier, de l'origine scandinave de sa mère et de sa propre éducation en milieu rural. Il enseigne quelques temps à Stony Brook, Université de New York, dans le but de faire vivre sa femme et ses deux enfants, mais l'enseignement ne le satisfaisant pas, il retourne dans sa ferme du Michigan. Il connaît son premier succès littéraire avec sa poésie. Mais il est également célèbre pour ses romans. Jim Harrison a été lauréat du National Endowment for the Arts 1968-1969 ainsi que de la fondation Guggenheim (1969-1970).

23 juin 2006

Pas d'autre ambition que celle de partager...


Avec ce blog sur mes lectures, je ne nourris pas d'autre ambition que celle de partager avec les internautes les plaisirs de la lecture.
On trouve ici le fruit d'une passion, celle des livres et des mots. Le résultat n'est pas toujours à la hauteur des espérances, la critique n'est peut-être pas toujours aussi pointue qu'elle devrait l'être. Il y a pourtant une vérité : tous les livres rapportés ici sont des excellents souvenirs de ces moments de lecture qu'on n'aime d'habitude pas dévoiler. C'est tellement personnel de se créer un environnement autour d'un bon roman, autour d'une histoire qui vous prend aux tripes, c'est si intime qu'on ne pense pas d'abord pouvoir le raconter, encore moins en faire un blog...
Mais quand on se trouve en présence d'un bouquin qui captive, et duquel on ne veut pas se séparer, et grâce auquel on n'aspire qu'à retrouver un moment, calme, à l'écart des autres, où l'on pourra prolonger cette intimité avec le livre, il ne faut pas se priver de cette envie de partager...
Pas d'autre ambition donc que celle de faire découvrir ce que j'ai aimé. Avec comme credo de n'en dire pas trop, de ne pas reproduire pas non plus les 4ème de couv qui sont parfois trop vendeuses, bref, en commentant d'une manière personnelle mais pas sectaire, pas unilatérale et suffisamment travaillée pour donner l'envie de pénétrer ces univers particuliers que créent immaquablement les lectures les plus heureuses.

20 juin 2006

Howard BUTEN : Monsieur BUTTERFLY

Il faut d’abord dire la tendresse qui se dégage de ce roman.
Ensuite, une sensibilité à fleur de peau.
Enfin, l’immense amour pour les enfants.
Howard Buten réussit ici un roman formidablement émouvant, où l’humour le dispute à l’émotion vraie. En racontant l’histoire de ce monsieur un peu (complètement ?) fou qui décide d’accueillir chez lui (dans le cadre d’une politique publique) des enfants handicapés mentaux, Howard Buten écrit avec Monsieur Butterfly un roman de grande valeur. Il nous invite à la suite de ces enfants pas comme les autres, que l’amour d’un adulte ne changera guère, et qui, de bêtise en fuite, se rendent terriblement attachants.
La dimension dans laquelle on vit habituellement, celle du raisonnable, y compris dans l’amour qu’on porte pour sa descendance, explose au profit d’une relation exclusive et belle, qui fait des enfants handicapés

les plus beaux personnages du roman contemporain.

14 juin 2006

La terre et le ciel de Jacques Dorme (Andreï MAKINE)

Andreï Makine prouve, s'il en était besoin, qu'il est un grand écrivain.

La terre et le ciel de Jacques Dorme raconte la quête du père, à travers la Russie et à travers la seconde guerre mondiale. L'époque contemporaine alterne avec les épisodes historiques. Le style d'écriture est remarquable, le vocabulaire est celui d'un étranger cultivé écrivant le français avec talent. L'histoire fait de Jacques Dorme un héros qu'on apprend à connaître et dont la vie est résumée par l'auteur : "Un aviateur venu d'un pays lointain rencontre une femme du même pays et, pendant très peu de jours, dans une ville dont il ne restera bientôt que des ruines, ils s'aiment ; puis il part au bout de la terre pour conduire les avions destinés au front, et meurt, en s'écrasant sur un versant de glace, sous le ciel blême du cercle polaire." (Page 29)
Enfin, c'est bien l'amour qui sert de trame au roman, un amour de guerre et d'exil, un amour aussi brièvement consommé qu'intense. Page 157 : "Je n'avais pas alors (je ne sais pas si je l'ai aujourd'hui) une meilleure définition de l'amour que cette sorte de prière silencieuse qui relie deux êtres, séparés par l'espace ou la mort, dans une intuition permanente des douleurs et des instants de joie vécus par l'autre."
La beauté du texte est telle que cette histoire plusieurs fois racontée se lit merveilleusement bien.

Andreï Makine naît le 10 septembre 1957 à Krasnoïarsk en Sibérie. Après des études de littérature, il obtient un doctorat es lettres de l'université Kalinine de Moscou. Il enseigne ensuite la philosophie à l'institut de Novgorod et collabore à la revue russe Littérature moderne à l'étranger. Au cours d'un voyage en France en 1987, il obtient l'asile politique et se consacre à l'écriture tout en donnant quelques cours de littérature russe à l'École normale supérieure et à Sciences Po. Après le refus de ses premiers manuscrits par les éditeurs, le premier qu'il réussit à faire éditer est La fille d'un héros de l'Union soviétique en 1990 en faisant croire que celui-ci est une traduction du russe. Il obtient en 1995 le prix Goncourt, le prix Goncourt des lycéens et le prix Médicis ex æquo pour son livre Le Testament français. Œuvres : La fille d'un héros de l'Union soviétique (1990), Confession d'un porte-drapeau déchu (1992), Au temps du fleuve Amour (1994), Le Testament français (1995),Le crime d'Olga Arbélina, (1998) Requiem pour l'Est (2000), La musique d'une vie (2001), La terre et le ciel de Jacques Dorme (2003), La femme qui attendait, (2004), Cette France qu'on oublie d'aimer (2006).

27 mai 2006

Moi, Charlotte Simmons de Tom WOLFE

Ce roman est une satire féroce de la vie dans les universités américaines en ce début de siècle. Sur un campus dont le nom sonne étonnamment français (Dupont), Charlotte Simmons découvre péniblement les affres de la vie étudiante ; elle se heurte d’abord à l’omniprésence d’une sexualité débridée. Elle apprend ensuite et surtout combien les amitiés sont difficiles ; elle fait l’apprentissage des relations humaines en dehors d’un cocon familial protecteur. Ce paraît être là l'essentiel du livre : la mutation de la jeune fille en femme, aux plans physiologique et moral. Tom Wolfe ne signe pas seulement ici un roman à l’humour féroce. Il accompagne son personnage avec sensibilité, n’use pas de lieux communs, ne force pas le trait. La dimension sociologique du roman n'est pas à négliger. La description d'une université américaine est minutieuse, acide certes, mais instructive. Certaines pratiques sont montrées avec réprobation et, on le perçoit, beaucoup de justesse.
C’est très réussi. Ce roman épais (650 pages) se lit avec avidité. Le ton caustique mais non dénué d’humour en fait un livre captivant.

10 mai 2006

Lucia ETXEBARRIA : Aime-moi, por favor

A travers une quinzaine de textes, L. E. convie le lecteur à s’interroger sur l’amour, dans le couple essentiellement. Les histoires ont pour personnages des espagnols du vingtième siècle, des couples hétéros et homosexuels, des couples jeunes et des couples plus vieux.
De leur diversité cependant naît une vérité : l’amour ne semble pas être le paradis auquel, mièvrement, on croit quand on est jeune. L’amour en couple est fait de duperies, de cris, de coups, de tromperies, d’envies et de refus.
Ce que dit l’auteure, aussi, c’est que, de l’amour en couple, c'est plus souvent la femme qui tient le rôle de victime. Tout cela est dit avec beaucoup de légèreté, et c'est certainement ce qui fait plus réfléchir encore. La rancoeur ne perce pratiquement pas de ces textes dont on retient très bien le message grâce à un humour féroce et décapant.
C'est moderne, très agréable à lire, détendant et réfléchi.
« La plupart des femmes de ma génération ont été élevées par une femme qui ne travaillait pas en dehors de la maison. Dans la plupart des cas, la situation de nos génitrices ne découlait pas d’un libre choix, mais avait été imposée par un père qui ne lui avait pas permis de faire d’études ou par un mari qui considérait comme un déshonneur que sa (tu remarqueras le possessif) femme travaille. Nous sommes très nombreuses à avoir entendu nos mères se plaindre de l’erreur qu’elles avaient commise, affirmer que le mariage et les maternités avaient annihilé leur être, leur interdisant de conserver le plus petit espace (…) pour elles-mêmes. »

Née en 1966, Lucía Etxebarria est journaliste et romancière. Après une biographie de Courtney Love en 1996, elle publie Amour, Prozac et autres curiosités qui devient très vite un formidable best-seller. Elle a publié depuis Beatriz et les corps célestes (Prix Nadal en 1998), De l’amour et autres mensonges (Prix Primavera, 2001), et un recueil de nouvelles : Aime-moi, por favor ! Son dernier roman, Un miracle en équilibre (éditions Héloïse d'Ormesson, 2006), a reçu le prix Planeta en 2004.

09 mars 2006

Erri De Luca : Montedidio

(éditions Gallimard - 2002 puis FOLIO - 2003)


Montedidio est un village italien où vit un jeune garçon de 13 ans. C'est une partie de l'histoire de ce garçon que raconte Erri De Luca dans ce roman.
Voilà un livre plein de poésie et de finesse.
"(...) dans ce quartier de ruelles qui s'appelle Montedidio, si tu veux cracher par terre, tu ne trouves pas de place entre tes pieds."
Montedidio est un quartier de Naples. Erri De Luca donne une parole de poète à ses personnages, et touche ainsi au coeur du lecteur.
"Il dit que tous les yeux ont besoin de larmes pour y voir, sinon ils deviennent comme ceux des poissons qui ne voient rien hors de l'eau et se déssèchent, aveugles. Ce sont les larmes qui permettent de voir, dit-il."
Ce qui fait la différence avec d'autres mièvreries littéraires à la mode (Delerm et compagnie), c'est d'abord la longueur et la densité du texte. C'est ensuite que l'on sent véritablement le vécu de l'auteur. D'une manière toujours humble et élégante, il nous montre que l'Italie qu'il décrit est la sienne, et que le gamin de 13 ans peut être lui-même. Les descriptions sont poétiques et réalistes à la fois.
Ce livre est vraiment très réussi.

16 février 2006

Marguerite DURAS

Dix heures et demie du soir en été
(Éditions Gallimard – 1960 puis FOLIO - 1985)

Voici un roman aussi court que bien écrit dans lequel on voit vraiment, s'il en fallait plus que la seule lecture de L'amant, le talent de romancière de Duras. Un roman court et captivant. Où la force des évocations le dispute à l'intrigue.

Ici, l'Espagne. Un couple, leur fille, une amie. A peine plus d'une nuit. Duras produit des images fabuleuses, d'orage, de champs de blé, de pluie. Elle décrit une ambiance de chaleur, sur une ville de tourisme, une ambiance de meurtre et de tueur fuyard. En filigranne aussi, une histoire d'amour.



Duras fait vivre à Maria, le personnage principal, une aventure presque identique à celle du criminel, Paestra, qui est poursuivi pour avoir surpris et tué sa femme adultérine. Maria, elle, laisse son mari consommer un amour adultérin avec Claire.

Quelle est la légitimité de l’amour que se vouent Claire et Pierre ? Où est la faute du tueur, Rodrigo Paestra ? Pourquoi Maria cherche-t-elle et lui vient-elle en aide ?

Proposition de résumé :
En Espagne, un soir d’orage, des français font halte dans une ville où vient d’avoir lieu un double meurtre. Les personnages sont Maria, Pierre (son mari), Judith (leur fille), Claire (une amie), l’assassin (Rodrigo Paestra). L’orage, la pluie, la chaleur, et les champs de blé sont omniprésents. Page 23 : « Une autre ondée se prépare. L’horizon est fauve. Il paraît très lointain. L’orage a encore grossi. Il vous en vient la désespérance de le voir se terminer cette nuit. » Les policiers cherchent le criminel dans l’hôtel où trouvent refuge les touristes français. L’essentiel de l’action se déroule la nuit. Incertitudes amoureuses, Pierre et Claire se cherchent. Dans la nuit, Maria est persuadée que le criminel est caché près d’elle. Attente de l’aurore. Maria et Rodrigo Paestra se découvrent. Elle l’aide à s’échapper de la ville, dans la nuit, où patrouille encore la police. Elle revient à l’hôtel après avoir laissé Paestra au bord d’une route. Maria est alcoolique (P. 98 : « le réveil des alcooliques doit être solitaire »). Elle parle de son échappée à Pierre et Claire. Elle les soupçonne dans leur manège amoureux. Elle redoute l’issue de cette liaison. Ils partent ensemble en fin de matinée à la recherche de Paestra. Maria a promis de le rejoindre. Page 122 : « Elle le portera en France ce corps-là. Elle l’emmènera loin, l’assassin de l’orage, sa merveille. Ainsi, il l’attendait. » Mais Paestra s’est tué avec son revolver. Pierre et Claire veulent profiter d’un arrêt dans une auberge, pour se donner l’un à l’autre. A Madrid ensuite, Maria a compris la fin de son histoire avec Pierre.

04 février 2006

James Salter : L'homme des hautes solitudes

"[Il] avait été en Europe. Il avait connu des villages où le seul téléphone est celui du bistrot, où les murs des maisons font soixante centimètres d’épaisseur. Il avait passé l’été et l’automne là-bas. Les sommets dont tous les alpinistes connaissent le nom par cœur figuraient maintenant à son palmarès. La Cima Grande, Blaitière, l’éperon Walker. "

L'homme des hautes solitudes (Editions des Deux Terres – mars 2003) fait vivre un personnage solitaire, car la solitude est le thème central du roman. La montagne, l'alpinisme, Chamonix et Paris servent de toile de fond à ce roman de caractère et d'aventure.

Le personnage principal vient de Los Angeles pour éprouver les vertiges de l'alpinisme. Au cours de son séjour en France, il découvre la montagne, il se lie d'amitié et d'amour, il met sa solitude à l'épreuve. Ainsi il ne vit jamais vraiment dans le monde mais toujours pour sa passion de la montagne. Il passe à côté de l'amour, néglige sa paternité, abandonne tout espoir de vie en couple. La solitude semble complètement l'emprisonner, la vie normale n'a pas prise sur lui, il cherche autre chose.

Au fil des pages, l'auteur sait nous envoûter nous aussi, grâce à des descriptions magistrales. Les pages où sont narrées les ascensions sont très réussies. Et l'histoire de cet américain qui, en dehors de sa passion pour la montagne, est irrémédiablement enfermé dans sa solitude, est écrite avec force et justesse. James Salter réussit ici un roman dont le style et la longueur sont le secret d'une vraie richesse littéraire. Cela mérite bien qu'on sorte un peu son auteur de l'oubli dans lequel il est injustement plongé.




"Cette première et grandiose image devait bouleverser la vie de Rand. La montagne l’aimantait, elle s’élevait avec une lenteur infinie comme une vague prête à l’engloutir. Rien ne pouvait lui résister, rien ne pouvait lui survivre."



Proposition de résumé : A Los Angeles, deux ouvriers sur le toit d’une église. Une chute évitée. L’un d’eux est le personnage principal : Rand. La relation avec une femme à qui il raconte son temps de régiment. Une ascension vers Los Angeles en compagnie d’un enfant (Lane). La rencontre avec Cabot. Ils se racontent les courses dans les Alpes. Page 37 : « Cabot avait été en Europe. Il avait connu des villages où le seul téléphone est celui du bistrot, où les murs des maisons font soixante centimètres d’épaisseur. Il avait passé l’été et l’automne là- bas. Les sommets dont tous les alpinistes connaissent le nom par cœur figuraient maintenant à son palmarès. La Cima Grande, Blaitière, l’éperon Walker. » Après la rencontre dans la montagne, Rand décide de partir. Premières impressions de Rand dans les Alpes : Page 46 : « Soudain, à Sallanches, la vallée s’élargit. Tout au fond, vision surprenante, le géant de l’Europe, le mont Blanc se dressait à l’improviste, auréolé de lumière. » Puis : « Cette première et grandiose image devait bouleverser la vie de Rand. La montagne l’aimantait, elle s’élevait avec une lenteur infinie comme une vague prête à l’engloutir. Rien ne pouvait lui résister, rien ne pouvait lui survivre. » La vie à Chamonix. Pluie et calme. Le temps se dégage. Rand rencontre Love. Première ascension (la pointe Lachenal). Le compagnon de cordée est incertain, défaillant même. Premiers dangers. Rand propose à Bray, alpiniste antipathique et prétentieux, l’ascension du Frêney. Page 69 : « Le pilier du Frêney est un éperon gigantesque, apparemment inaccessible, qui flanque le versant italien du mont Blanc. Son histoire est ponctuée de tragédies célèbres. » Bray est souffrant. Rand part seul. Le mauvais temps prend la vallée. Périls, recherches, puis Rand est de retour. L’automne puis l’hiver à Chamonix. Quelques connaissances parlent à Rand. Travail au noir, premier contact avec la solitude. Page 85 : « Il n’avait pas fait entrer en ligne de compte la solitude ni ce froid terrible et il avait le sentiment d’avoir commis une effroyable erreur. » Puis esquisse d’une rencontre féminine, mais Rand surtout éprouve la solitude. Cabot arrive avec sa femme. Retrouvailles. Il propose le Dru. Page 94 : « Le Dru, c’est une sorte d’obélisque colossal qui fut d’abord attaqué par les itinéraires les plus faciles. La face nord ne fût maîtrisée qu’en 1935 après des années de tentatives infructueuses. La face ouest, la plus difficile, ne céda qu’après la guerre, en 1952. ». Rand et Cabot étudient préparent l’ascension. Les mauvaises conditions météo les forcent à attendre le départ. Attente, frustration. Ils débutent enfin la montée. Page 108, tout incident est amplifié en montagne. Cabot dévisse, il est blessé. Après une nuit difficile, l’ascension se poursuit, Cabot est toujours blessé, vient l’orage. Ils parviennent au sommet et redescendent. Début de la célébrité pour Rand, puis rencontre avec Catherine, idylle. Rand séjourne à Paris. Cabot et son équipe tentent l’Eiger. Bray se tue dans la tentative. Catherine annonce à Rand qu’il va être père, c’est ensuite la fin de leur relation. (Rand s’isole sciemment dans la solitude). Rand réalise le sauvetage de deux italiens dans les Drus. Ce sauvetage lui donne la célébrité. A Paris, Rand connaît un triomphe. Page 220 : « Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul. Edmond Rostand. » Rand vit deux amours parisiennes (sans conviction). Après l’échec de ces relations, il vit misérablement à Paris, puis rejoint Chamonix. Il entame l’éperon Walker, mais renonce. Sa volonté d’évasion est partie. Il revoit Catherine pour dire adieu à son fils. En Californie, Rand retrouve Cabot paralysé. Ils discutent longuement, jouent à la roulette russe. Rand joue avec la mort, il intime ensuite à Cabot de marcher, la volonté pouvant l’amener à cela. Rand fuit ensuite, et se retrouve seul.

29 janvier 2006

Joseph Delteil : Sur le fleuve Amour

"A cheval devant l'océan pacifique. Toute l'armée Sémenoff grouillait sur les quais de Nicolaievsk. De maigres Ostiaks rôdaient sans relâche autour du môle en briques en dévisageant de belles Mongoles de miel allaitant des enfants jaunes. Un pope accroupi devant une borne déclamait des incantations. Des estafettes en pleurs passaient sur de petits chevaux de l'Oural."

Avec Sur le fleuve Amour, Joseph Delteil (1894-1978) raconte une épopée incroyable. Les deux personnages principaux sont épris d'une femme. Il parcourent tous trois un pays en guerre, et cela donne lieu à un conte épique d'une grande beauté.
C'est une histoire tragique, où l'amour pour une femme l'emporte sur l'amour fraternel.
C'est une histoire de passions.
C'est surtout un voyage haut en couleurs dans des pays habités par des peuplades de toutes sortes.
Il y a dans ce texte beaucoup d'exubérance mais tout autant de dépaysement et de beauté.
(la plupart des romans de Joseph Delteil sont publiés dans la collection Cahiers Rouges, de Grasset.
et aussi, sur le net : http://josephdelteil.net/)

20 janvier 2006

Katherine MANSFIELD : Journal

"Le vent s'est éteint au coucher du soleil. L'anneau brisé d'une lune est suspendu dans l'air vide. Il fait très calme. J'entends quelque part une femme chantonner doucement une chanson. Peut-être est elle blottie devant le poêle dans le corridor, car c'est une chanson comme les femmes chantent devant le feu, rêveuse, tiède, assoupie, confiante. Je vois une petite maison, avec des plates-bandes fleuries sous les fenêtres et la masse moelleuse d'une meule de foin par derrière. Toutes les poules sont allées se coucher : ce sont, sur les perchoirs, des tâches molles et laineuses. Le petit cheval est à l'écurie, une couverture sur le dos. Le chien est étendu dans la niche, la tête sur les pattes de devant. Le chat est autour de lui. Et l'homme, jeune encore, insouciant, approche ; il gravit la route derrière la maisonnette. Soudain, une tâche de lumière apparaît à la fenêtre et tombe sur la corbeille de pensées au dessous ; l'homme presse le pas en sifflant."

18 janvier 2006

Julien Gracq est toujours vivant...

Frédéric Beigbeder : Mémoires d'un jeune homme dérangé


Ne nous trompons pas : si l'humour de Beigbeder donne l'assurance de passer à chaque fois un agréable moment, on trouve aussi toujours une causticité empreinte d'autodérision et de réalisme. Ce qui fait rire donne toujours à réfléchir.
Car Beigbeder sait écrire. Il nourrit son texte de références, il adopte un style moderne, fait la phrase avec les mots d'aujourd'hui, et donne la preuve qu'avec un vocabulaire très actuel on peut écrire avec détachement (humour), sensibilité et vérité.
Sous ses airs futiles et comique "à deux balles", FB alimente sérieusement la réflexion sur les tics de notre époque. Il s'interroge avec perspicacité sur le monde contemporain et permet au lecteur, assidu ou non, de trouver, en (sou)riant, ce qui détermine notre société : l'argent (toujours), le sexe (un peu), la drogue (suffisamment), l'alcool (idem), les femmes et le questionnement sur sa propre utilité et les vraies valeurs.
"Tant qu'à être mesquin, autant y aller carrément. Il n'y a pas que les cercles qui soient vicieux."
Sans se prendre au sérieux donc, FB nous invite pourtant à véritablement nous contempler dans nos vices, nos manies et nos "médiocritudes".
(on lira, avec gravité et interrogation, l'excellent Windows on the world, du même auteur.)
(et aussi, plus légers : L'amour dure trois ans, 15 euros, etc...)
(notons enfin : Dernier inventaire avant liquidation. Cet opus qui établit un top 50 des romans français du XXème siècle est une merveille de fiches de lectures non conventionnelles. Il permet de revenir d'une manière très sympathique sur ce qu'on a lu ou aurait du lire. EXCELLENT !!)

04 janvier 2006

L'écrivain lyonnais Charles Juliet

Lambeaux (POL éditions - 1995 puis Folio n° 2948)

A la fois courts et denses, les deux récits qui composent ce livre, sont empreints de douleur et de beauté. Ils se lisent cependant très facilement, et marquent par leur pudeur et par la sincérité du propos.
Ce livre, qu'on devine être l'exutoire d'une souffrance jusqu'alors non écrite, touche le lecteur par une économie de mots et un style de phrase qui est tout sauf emphatique.
Charles Juliet opère ainsi un retour sur la vie de sa mère et sur sa propre vie :
"Médecin, enseignant, écrivain. Selon toi, les trois plus belles professions qu'on puisse imaginer. Soigner les corps et les psychés. Former de jeunes esprits, leur apprendre à penser, les préparer à la vie. En écrivant, se délivrer de ses entraves, et par là même, aider autrui à s'en délivrer. Parler à l'âme de certains. Consoler cet orphelin que les non-aimés, les mal-aimés, les trop-aimés portent en eux. Et en cherchant à apaiser sa détresse, peut-être adoucir d'autres détresses, d'autres solitudes."
C'est une étonnante et touchante confession à laquelle se livre Charles Juliet.
"Tu as cette boulimie de l'autodidacte qui a honte de son ignorance et veut coûte que coûte en réduire l'étendue."
Charles JULIET sur le site de son éditeur : http://www.pol-editeur.fr/catalogue/ficheauteur.asp?num=103