11 décembre 2005

Louis Guilloux, écrivain du 20ème siècle

La vie de Louis Guilloux est celle du 20ème siècle, tant on retrouve, dans chacun de ses livres, les événements qui ont jalonné l’Histoire contemporaine.

Dans la préface de sa thèse (Thèmes et symboles dans l’œuvre romanesque de Louis Guilloux - Klincksieck, 1979) consacrée à l’auteur du Sang noir, Yannick Pelletier nous fait comprendre certains aspects de l’œuvre de Guilloux :

« Louis Guilloux a traversé son siècle, c’est-à-dire, des révolutions, des guerres et le mal sous toutes ses formes (…) Son œuvre également se confond avec le siècle dont elle évoque l’histoire, de la Première guerre mondiale à la guerre du Vietnam, dont elle aborde tous les questionnements.»

Dans le recueil « Louis Guilloux, homme de parole » que la ville de Saint-Brieuc a composé pour le centenaire de la naissance de l’écrivain, Christian Bougeard, professeur d’histoire contemporaine, apporte des précisions :

« L’écrivain briochin Louis Guilloux a traversé la plus grande partie du 20ème siècle en étant toujours attentif aux hommes mais aussi aux événéments. Sa vie et son œuvre portent la marque des espoirs et des drames, des agitations et des fureurs de ce siècle finissant.
A deux titres au moins, parcours de l’homme et publications de l’écrivain intéressent l’historien. (…) L’œuvre peut être lue comme reflet ou représentation de l’événement ou d’une période : de la grande dépression des années 1930 à l’occupation, la Résistance et la Libération. Elle peut être analysée comme vision de la société (bretonne et briochine) et de certains milieux sociaux. Mais si Louis Guilloux a sans cesse puisé dans son expérience personnelle un matériau historique, l’écrivain n’est pas un simple chroniqueur. (…) Il se fait aussi acteur quand le narrateur raconte, par exemple dans Le jeu de patience, la manifestation du 11 février 1934 à Saint-Brieuc, en riposte aux émeutes parisiennes du 6 février 1934, quitte à grossir le trait.

Les premiers ouvrages de Louis Guilloux, La maison du peuple et Compagnons, plongent directement leurs racines à la fois dans l’histoire familiale et dans l’histoire politique de la laborieuse naissance, avant 1914, du parti socialiste SFIO à Saint-Brieuc. Dans La maison du peuple, derrière les personnages du roman, l’historien peut identifier les travailleurs et les militants dont les archives ont conservé la trace.

Louis Guilloux appartient à une génération qui était trop jeune pour avoir participé aux combats de 1914-1918. Cripure, et les personnages du Sang noir évoluent dans une petite ville de l’arrière, marquée en 1917 par les effets du conflit et les espoirs qui se lèvent à l’Est avec la Révolution russe. Louis Guilloux s’est certainement inspiré de plusieurs incidents survenus à Saint-Brieuc en 1917. Mais le roman, qui dénonce le bellicisme imbécile d’une petite bourgeoisie de province et plaide pour le pacifisme, ne correspond pas aux sentiments du jeune Guilloux, qui reconnaît qu’il a d’abord été fasciné par l’élan guerrier des débuts d’une mobilisation perçue comme une recherche de la fraternité.

L’impact sur les romans de l’engagement de Louis Guilloux durant les années 30 est bien connu. Les batailles perdues décrivent une vision désenchantée de cette période qui nous plonge au cœur de la grande crise économique et des luttes paysannes contre les ventes-saisies. L’année 1934 est un moment important du Jeu de patience qui évoque la construction du Front Populaire entre communistes et socialistes à travers la formation d’un comité de chômeurs et le Secours rouge. Le compagnonnage avec le PCF et l’amitié avec André Malraux et André Gide conduisent Guilloux à participer comme organisateur au premier Congrès des écrivains pour la défense de la culture de Paris, en 1935, c’est-à-dire au combat antifasciste.

Et puis, après une brève collaboration au quotidien communiste Ce soir, dirigé par Louis Aragon et Jean Richard Bloch, c’est la plongée militante pour l’accueil des réfugiés espagnols dans les Côtes-du-Nord. Cette expérience sert de trame à Salido (écrit en 1978).

Enfin, avec leurs trous et leurs silences, notamment sur le rôle discret de Louis Guilloux dans la mise en relation en 1943 des principaux mouvements de Résistance des Côtes-du-Nord, les Carnets sont une source indispensable à l’historien des années noires de la Libération. On y suit les difficultés de la vie quotidienne et le poids de l’occupation, la montée des angoisses au rythme du durcissement de la répression, les joies et turbulences de la Libération, les formes de l’épuration… L’image des armées libératrices, renvoyée par l’écrivain dans OK, Joe ! (1978), ne sort pas grandie de son bref contact avec la justice militaire américaine.

L’historien ne peut donc que faire son miel de l’œuvre de Louis Guilloux, une œuvre totalement ancrée dans l’histoire de la première moitié du 20ème siècle ».

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